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Chasse au trésor aux archives

Dans son livre «Le Manteau de Proust», publié en 2012, la journaliste italienne Lorenza Foschini raconte son émotion lorsqu’on lui a permis de voir, dans les réserves du Musée Carnavalet, à Paris, la célèbre pelisse que l’écrivain a portée toute sa vie rangée dans un carton.

J’ignore si j’aurai un jour ce privilège. Mais il n’est pas nécessaire d’être en présence de reliques aussi prestigieuses pour se sentir un peu attendri : il suffit d’ouvrir de modestes chemises à rabat comme je l’ai fait ces jours derniers aux Archives de Bordeaux Métropole pour préparer la balade que je proposerai dans le cadre des Journées européennes du patrimoine 2020, une évocation de l’histoire de la Bastide à travers ses écoles.

Je ne parlerai pas des découvertes que j’ai faites dans les nombreux dossiers sur les écoles maternelles et élémentaires de la Bastide que les bibliothécaires ont extraits de leurs chambres fortes à mon intention. Elles alimenteront la balade. Mais plutôt de tous les génies qui sont sortis des chemises ventrues contenant historiques, plans, cahiers des charges, factures, échanges de correspondance entre la Mairie, les directeurs d’école, les préfets, les inspecteurs de l’Éducation nationale dont la somme ressemble à un feuilleton de la conception, de la construction, de l’agrandissement ou de la rénovation des modestes établissements qui accueillaient les enfants d’ouvriers, de cheminots et de manutentionnaires de la Bastide.

Tout d’abord, le génie de l’écriture : si les feuillets les plus récents, surtout des années 30, sont dactylographiés sans grâce, et déjà palis et affadis, sur du papier de piètre qualité, quelle splendeur dans les documents du XIXème siècle, où le moindre devis est calligraphié! Les documents officiels déclinent plusieurs styles : corps du texte élégant, avec pleins et déliés, dans une écriture anglaise très pure tracée à la plume pointue (comme les plumes sergent major de mon enfance), titres en écriture ronde, tracés à la plume à bout carré, ou, pour varier, s’il y a un sous-titre, à la ronde penchée, dite bâtarde.

Ensuite, j’ai ressenti une émotion particulière à voir sur le papier les noms ou les signatures de personnalités que l’on ne connait que par les rues, les cours et les avenues, dont ceux de maires comme Alfred Daney ou Paul-Louis Lande, et qui sortent de leur statut de figures historiques pour s’illustrer dans leur action quotidienne, leurs démêlés avec les divers acteurs locaux, leurs soucis budgétaires permanents, montrant au passage que siècle après siècle, rien ne change vraiment dans les coulisses des collectivités locales. Même émotion aussi à voir les signatures d’architectes municipaux prestigieux, que l’on n’associerait pas forcément à la construction de ces modestes écoles : Flandrai (1848-1904) , à qui l’on doit notamment la salle du conseil municipal du Palais Rohan, les salles des Sociétés savantes de Bordeaux ou l’école de médecine navale et coloniale; Charles Burguet (1821-1879) qui a conçu des immeubles de prestige et notamment travaillé au projet de Musée des Beaux-Arts de Bordeaux ou Jacques d’Welles (1883-1970) qui a exercé une immense influence sous Adrien Marquet et est intervenu dans tout, de la conception de la Bourse du Travail aux modestes bains-douches de la Bastide.

Dans les lettres, les notes manuscrites, les comptes-rendus de séance du Conseil municipal, c’est toute une époque qui renait sous nos yeux, faite de nobles ambitions (alphabétiser des effectifs d’enfants toujours plus nombreux), de petits calculs budgétaires (l’économie – voire une certaine radinerie - étant toujours de mise), d’échange entre des institutrices ulcérées par la vétusté, le manque d’hygiène, l’humidité, et des édiles tentant de raisonner, expliquer, justifier, pour au final céder sur les rénovations les plus urgentes ou se décider à construire. La photographie d’un chapitre de l’histoire bordelaise que nous poursuivons tous aujourd’hui, aux prises avec d’autres impératifs, défis, dilemmes et incertitudes.

Chasse au trésor aux archives