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Quand Bordeaux prenait des couleurs

La ville de Bordeaux est connue pour la pierre blonde de ses façades néo-classiques. À la fin du XIXème siècle, pourtant, l’usage de la céramique vient rompre cette belle uniformité, le plus souvent par des touches délicates, bleu ou vert pâles, mauve, rose, ou beige, parfois par des tonalités plus vives.

Sur ma première page de blog (https://www.pascaleduclos.fr/qu-est-ce-qu-un-guide/), j’ai parlé des fragments de vaisselle que je collectionnais petite fille. Le goût que j’avais pour les pièces émaillées ne s’arrêtait pas là. Hélas, l’échoppe dans laquelle j’ai grandi et que j’ai évoquée dans le « coup de cœur » sur Nansouty établi pour Bordeaux Patrimoine Mondial  (https://www.pascaleduclos.fr/coup-de-coeur-balades-urbaines-bordeaux/), quels qu’aient pu être ses charmes, avait un gros défaut : elle ne comportait aucun de ces décors multicolores que j’aimais tout particulièrement – et dont je pouvais admirer un exemple à deux pas de chez moi, au n° 26 de la rue Jean Noguès, une belle maison d’angle qui me narguait avec ses fenêtres surplombées de frises de carreaux décoratifs représentant des pampres avec leurs feuilles, leurs vrilles et leurs grappes de raisin, une élégante composition de bleus, de verts et de marrons.

Coup de chance, aujourd’hui, j’ai dans mon voisinage, dans le quartier Saint Genès, de quoi prolonger cette passion enfantine. Il suffit de marcher dans les rues le nez en l’air pour trouver de très jolis motifs. Il n’en est pas de même partout car les Bordelais, fidèles à leur architecture sobre, n’ont pas eu le même engouement pour la céramique décorative extérieure que d’autres villes de France.

 

Un art, un élément architectural et une industrie

C’est dans la deuxième moitié du XIXème siècle que l’usage de la céramique se développe pour les maisons particulières, en particulier sous l’impulsion de l’art nouveau. Plusieurs facteurs sont à l’œuvre : la mode est à l’éclectisme, au mélange des styles. On redécouvre le Moyen-Âge, la Renaissance, dont on imite le vocabulaire. L’Orient fascine, avec ses mosaïques et ses céramiques polychromes. Les architectes s’accordent plus de fantaisie et les propriétaires aisés cherchent à se singulariser par le décor de leur façade. Les matériaux, fabriqués industriellement, se diversifient : briques de différentes couleurs, naturelles ou vernissées, faïence, grès flammé, grès cérame. La céramique devient un art industriel. Et l’art nouveau privilégiant la représentation de la nature, fleurs, feuilles et fruits vont venir enjoliver l’habitat.

 

Visiter Saint Genès

Si vous venez avec moi en balade à Saint Genès, au printemps, vous verrez quelques beaux spécimens de cet emballement pour le décor.  Par exemple, la façade du n° 8 de la rue d’Arcachon est presque entièrement recouverte de briques vernissées bleues. Vous aimez ce look? Faites un saut au n°235du boulevard Maréchal Leclerc, l’une des maisons du célèbre lotissement Mestrezat, ou un peu plus loin, aux n° 68 et 70, presque en face du stade Chaban-Delmas.  Ou promenez-vous rue du Bocage, le long du Parc bordelais, et profitez d’un vrai festival de maisons Belle-Époque dont celles dessinées par Bertrand Alfred-Duprat (père du génial Cyprien, dont on connait les projets novateurs voire utopiques qui ont souvent été repris des années plus tard par les urbanistes de la ville).

Autre curiosité de Saint Genès, les cabochons qui font saillie en façade, comme les fleurs de chardon sur l’étonnante maison au  coin de la rue de Ségur et de la rue de Talence qui nous offre en prime sous ses fenêtres des visages de femmes au regard décidé et aux cheveux serrés par un ruban rouge vif (si vous allez voir la séquence de maisons de l’îlot Mestrezat, vous y trouverez aussi des motifs végétaux art nouveau, dont des cabochons en forme de fleur).

Enfin, rue Beysselance, une grande variété de frises vous attend, dont une représentant des nénuphars qui orne deux maisons différentes. Si vous êtes un(e) habitué(e) des balades du CIAP, ou un amoureux fou de l’art nouveau, vous saurez où trouver à la fois des nénuphars, des frises, des cabochons et des briques bleues. Je vous les ai peut-être déjà montrés. Sinon … à vous de les chercher!

Quand Bordeaux prenait des couleurs